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Après les ciseaux, voici le crayon à ADN qui pourrait s'attaquer aux maladies génétiques


Cet outil moléculaire permet de changer l'alphabet, les briques élémentaires qui composent notre génome. Depuis quelques années, le monde de la génétique est révolutionné par un nouvel outil ouvrant un champs des possibles énorme aux scientifiques. Vous avez peut-être déjà entendu son nom: l'enzyme Crispr-Cas9, une sorte de "ciseaux moléculaire" qui peut rechercher et couper très facilement un bout précis d'ADN.

Ce mercredi 25 octobre, des généticiens américains viennent d'ajouter une nouvelle flèche à leur arc. Dans une étude publiée dans Nature, ils expliquent avoir réussi à modifier certaines "bases nucléotides" de l'ADN avec un taux de réussite très important. Et sans effet secondaire. On appelle cela un "éditeur de base".

"Si l'on veut faire une analogie, si Crispr-Cas9 peut être considéré comme des ciseaux moléculaires, les éditeurs de bases sont des crayons", a expliqué lors d'une conférence de presse David Liu, l'auteur principal de l'étude. "Si pour certaines applications, les ciseaux sont le meilleur outil, pour d'autres, comme le fait de changer une seule base, le crayon est meilleur", précise-t-il.

Alphabet génétique

Pour comprendre, il faut se remémorer nos cours de biologie. Tout être vivant est constitué d'ADN, lui même composé de plusieurs "bases nucléotides", l'alphabet du vivant. Pour faire simple, 4 lettres servent à créer les brins d'ADN: A, T, C et G. Celles-ci fonctionnent par paires: A avec T et C avec G (rappelez-vous, il y a deux brins dans l'ADN). C'est l'ordre de ces séquences de lettres qui définit chaque gène. En gros, les chercheurs ont fabriqué une enzyme bien spécifique, appelée ABE, qui réussit, en modifiant leurs atomes, à changer un A en G (et donc un T en C, comme elles fonctionnent par paires). En quoi est-ce important? Avec cette technique, on pourrait théoriquement "réparer" plus de la moitié des maladies héréditaires dues à une mutation de ces lettres. Il faudra bien sûr beaucoup de travail avant d'arriver à cet hypothétique résultat. "La technique est pour le moment limitée, on ne peut pas modifier ce que l'on veut, où l'on veut sur l'ADN. Mais il y a un fort potentiel", explique au HuffPost le généticien Jean-Louis Mandel, chercheur au CNRS. D'ailleurs, les auteurs de l'étude précisent travailler en partenariat avec un laboratoire spécialiste des maladies génétiques. "Nous étudions la possibilité de soigner des maladies du sang, la cécité ou la surdité de naissance ou encore certains troubles mentaux", affirme David Liu. Outil précis et sans dommages collatéraux Ce n'est pas la première fois que l'on arrive à faire cela. Crispr-Cas9, les ciseaux moléculaires, peut faire des choses similaires. La différence, c'est l'efficacité. "Avec Cas9, on fait une coupure dans les deux brins de l'ADN. Ensuite, il faut donc réparer", explique Jean-Louis Mandel. Crispr-Cas9 pose deux problèmes, dans l'idée d'une utilisation thérapeutique. D'abord, il y a des "off targets", des dommages collatéraux dans l'ADN. "De plus, la réparation après la coupe n'est pas toujours très 'propre'", schématise le généticien. Pour rappel, voici comment fonctionne Crispr-Cas9:


A l'inverse, ABE est un crayon et est à première vue beaucoup plus précis. Ainsi, les auteurs de l'étude ont comparé leur découverte avec une méthode classique de coupe pour changer les lettres de l'ADN. Le résultat, pour résumer: avec la méthode classique, il y a eu 4% de réussite et 11% d'effets secondaires. Avec ABE, le taux de réussite est supérieur à 50% et les effets secondaires sont quasiment indétectables. Impossible sans Crispr-Cas9 Comment l'expliquer? Difficile à dire, mais David Liu a sa petite idée: ce type de conversion de paires de lettres, bien spécifique, n'existe pas vraiment dans la nature. Ainsi, les cellules n'ont pas eu besoin, au cours de l'évolution, de créer de mécanisme de défense contre ces mutations. Il faut aussi noter que cette technique ne serait pas possible sans l'invention de Crispr-Cas9. Car si le crayon ABE peut modifier la base, encore faut-il cibler la bonne partie de l'ADN. "Les auteurs de l'étude utilisent en réalité un cas9 qui ne coupe pas, mais qui va chercher dans le génome", explique Jean-Louis Mandel. Et oui, Crispr-Cas9 est certes une paire de ciseaux, mais c'est surtout un mécanisme extrêmement efficace pour se faufiler dans le génome. Et trouver l'endroit voulu parmi les centaines de millions de paires de lettres qui composent l'ADN. De plus, ABE n'a pas vocation à remplacer les ciseaux génétiques, mais à les compléter. "L'édition de base n'est pas meilleure. Tout dépend de la tâche que vous souhaitez accomplir", note David Liu. Boite à outils et bricolage génétique Crispr-Cas9 est très fort pour repérer la bonne séquence dans l'ADN. Mais il faut encore trouver un moyen de transport pour emmener l'enzyme jusqu'à l'intérieur de la cellule. Car cette percée n'a été réalisée que dans des cellules in vitro, dans un laboratoire. Pas directement dans un humain ou un animal vivant. Les perspectives sont pourtant assez renversantes. Surtout que les chercheurs du monde entier travaillent sur cette révolution génétique. Ce mercredi 25 octobre toujours, une seconde étude est publiée dans Science. Elle provient d'une équipe de chercheurs différente de ceux de Nature. Mais tous les deux travaillent pour le Broad Institute, un centre de recherche génétique lié à Harvard et au MIT. Dans cet article, les scientifiques expliquent avoir utilisé une version modifiée des ciseaux génétiques, appelée Crispr-Cas13. Sa particularité? Cibler non pas l'ADN, mais l'ARN. Cette molécule est, elle aussi constituée de paires de lettres. Sauf que l'ARN ne dispose que d'un brin. Elle a de nombreuses utilités, par exemple la fabrication des protéines ou l'altération de certains gènes. "Ces travaux sont intéressants et vont permettre de nombreuses expérimentations dans les laboratoires", explique Jean-Louis Mandel. Mais le chercheur est plus sceptique sur des débouchés plus concrets pour le moment. Car si l'ADN est copié à chaque division d'une cellule et se transmet, l'ARN, lui, ne vit que quelques jours, voire quelques heures. "On peut tout de même imaginer une sorte de traitement temporaire, comme un médicament, pour des pathologies inflammatoires, par exemple", explique le généticien. Surtout, ces deux études, publiées coup sur coup, nous montrent que cette révolution génétique, débutée en 2012, n'en est qu'à ses débuts. Crispr-Cas9 est une technologie avec laquelle les scientifiques du monde entier multiplient les expérimentations. "On fait du bricolage, on teste de nouvelles enzymes", affirme Jean-Louis Mandel. Bref, on crée petit à petit une sorte de boite à outils génétique dont nous ne savons pas vraiment, à l'heure actuelle, ce qu'elle nous permettra vraiment de faire. Et, surtout, quelles seront les modifications que nous autoriserons.

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