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Avec «Crispr/Cas9», modifier un ADN devient presque aussi simple qu'un copier-coller


Depuis trois ans, les scientifiques développent un moyen de remplacer plus facilement les séquences d’ADN défectueuses, y compris sur les cellules reproductrices. Ce qui ouvre la porte à l'éradication de maladies mais aussi à des abus.



«Crispr/Cas9». Derrière ce nom barbare se cache une petite révolution dans le domaine de la modification génétique. Cette méthode, à laquelle le mensuel Wired consacre un long papier, est développée depuis 2012. Elle permet de neutraliser les propriétés de gènes défaillants dans l'ADN d'un individu. Pourtant, les scientifiques s'inquiètent déjà des répercussions sur le plan éthique. Les modifications génétiques de l'individu soulèvent déjà les craintes et cette technique pourrait aller jusqu'à créer des mutations héréditaires.


En quoi consiste la méthode Crispr/Cas9 ?

Depuis des années, la thérapie génique permet d'introduire la «bonne» version d'un gène originellement défaillant dans l'ADN d'un individu. La méthode Crispr/Cas9 permet elle de cibler le gène en question pour le neutraliser plus facilement et précisément.


Elle tire son nom des deux éléments qui, combinés, agissent comme des ciseaux moléculaires pour découper l'ADN. Ce dernier est composé de deux brins, chacun porteurs d'une multitude de séquences. Comme l'explique le mensuel Wired dédié à la technologie, les Crispr sont des séquences répétitives d'ADN qui permettent à l'organisme de se défendre contre les attaques virales. La Cas9 est une protéine qui, associée au Crispr, permet de découper les séquences d'ADN défectueuses.

Pourquoi est-ce une innovation majeure ?

Ce sont les scientifiques Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna qui sont à l'origine de cette découverte. La Française et l'Américaine ont d'ailleurs reçu un Breakthrough Prize début juin, prix créé notamment par les fondateurs de Facebook et Google qui récompense les avancées majeures dans plusieurs domaines scientifiques. Si la biologie moléculaire permettait déjà de supprimer et de remplacer des gènes en utilisant des enzymes, la procédure était compliquée et longue.

L'immense progrès apporté par cette méthode est le gain de précision : «Les Crispr comportent deux brins courts d'ARN (une molécule très proche de l'ADN qui permet de synthétiser les protéines, ndlr) et la Cas9 s'y accroche. La séquence des brins d'ARN correspond aux parties d'ADN porteuses de virus et peut se poser sur ces segments» rapporte Wired. En bref, la combinaison Crispr/Cas9 joue le rôle d'une tête chercheuse qui localise le segment d'ADN défaillant, avant de s'y déposer et le couper pour le neutraliser.

A partir de cette découverte, un autre chercheur a encore affiné la technique en combinant les deux brins d'ARN pour en faire un «ARN guide», grâce auquel il est possible de programmer encore plus précisément la partie d'ADN à couper. Lorsqu'une séquence dans l'ADN d'une cellule est coupée, celle-ci fait en sorte de le réparer. Mais comme l'explique le Guardian, cette réparation est souvent insuffisante pour continuer à la faire fonctionner : le gène défaillant, porteur de virus, devient donc inopérant.

La méthode a-t-elle été testée sur des humains ?

Après plusieurs expérimentations sur des cellules de bactéries et d'animaux, plusieurs scientifiques ont déjà effectué des essais fructueux de modification génétique avec la méthode Crispr/Cas9. Le biologiste Feng Zhang a publié début 2013 un papier démontrant l'efficacité de la méthode sur des cellules d'humains et de souris.

En avril dernier, un groupe de chercheurs chinois annonce avoir réalisé des essais sur des embryons humains unicellulaires, dans le but de réparer le gène responsable d'une maladie sanguine héréditaire. C'est une première. Pour l'équipe, il s'agissait de vérifier si la modification de gène initiale serait reproduite au cours de la division cellulaire. Cependant, les résultats se sont avérés peu concluants, les gènes étant moins bien ciblés que lorsque la méthode est utilisée sur une cellule isolée. Sur 86 embryons, la méthode Crispr/Cas9 n'aurait permis de remplacer le gène défaillant coupé que dans quelques cas, et des mutations inattendues se sont produites. «C'est pour cela que nous avons arrêté, a déclaré l'un des chercheurs à la revue scientifique Nature. Nous pensons que c'est encore trop immature».

A quoi pourrait servir le remplacement de gène ?

Les avantages de cette avancée scientifique peuvent être multiples dans le domaine de la santé. Pouvoir enlever avec précision un gène porteur de virus, c'est ouvrir la voie à l'éradication des maladies chez certains patients. La méthode Crispr a déjà fait ses preuves : depuis trois ans, les tests ont démontré qu'elle peut stopper la multiplication de cellules cancéreuses ou rendre inopérant le gène CCR5, qui joue un rôle dans le développement du VIH.

En plus de rendre inopérants les gènes défaillants, les scientifiques pourraient utiliser cette méthode pour insérer ceux de leur choix dans un génome. Pour cela, il faut miser sur les gènes dits «égoïstes» rappelle Wired : alors que les gènes «classiques» d'un individu n'ont normalement qu'une chance sur deux d'être transmis à la descendance, eux ont la faculté de s'imposer dans de nombreux embryons. Pour transmettre un gène voulu à plusieurs individus, la solution serait donc de le joindre à un gène «égoiste», comme le proposait le généticien Austin Burt il y a dix ans. La technique, trop coûteuse à l'époque, est désormais plus susceptible de fonctionner avec la méthode Crispr. Un laboratoire de Harvard tente actuellement de modifier l'ADN de moustiques africains pour que ces derniers ne puissent plus transmettre la malaria. L'expérience n'a pour l'heure pas encore fonctionné.

Quels sont les risques ?

Jouer avec le génome ouvre bien entendu la porte aux risques de dérive. «La technique est révolutionnaire, et comme toute révolution, périlleuse» écrit Wired. Les scientifiques eux-mêmes craignent que cette méthode qu'ils ont contribué à développer puisse être déviée de son utilisation première, à des fins de modification génétique non-nécessaire, comme la sélection de caractéristiques physiques. «Nous n'avons pas eu le temps, au niveau de la communauté, de discuter d'éthique et sécurité, et de déterminer s'il y a un avantage clinique réel de cette méthode par rapport à d'autres moyens de gérer les maladies génétiques» affirme Jennifer Doudna au mensuel américain. Depuis la publication des travaux de cette dernière et d'Emmanuelle Charpentier en 2012, la méthode Crispr est devenue largement populaire, et plusieurs laboratoires se sont lancés dans un véritable sprint pour tenter de réaliser des modifications génétiques plus poussées.

L'autre inquiétude concerne le champ d'efficacité de cette méthode. Selon Wired, la Crispr/Cas9 permet de déplacer voire remplacer n'importe quel gène, chez tout organisme vivant. Ce qui signifie qu'il est possible d'altérer un gène y compris dans les cellules reproductrices, auquel cas la modification génétique ne s'appliquerait pas qu'à un individu mais aussi aux générations suivantes. C'est d'ailleurs pour cette raison que les chercheurs qui ont modifié des embryons en avril dernier se sont assurés de réaliser l'expérience sur des cellules non-viables. Mais désormais, la technique est accessible à tout scientifique qualifié, et ils sont des milliers à travailler sur la méthode Crispr rappelle Wired : reste à savoir si l'un d'eux osera réaliser des modifications génétiques héréditaires. Source : Libération

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